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homme sans fortune, demandant la main d’une riche héritière. Plus que tout autre, Thierray avait besoin qu’on fit les premiers pas vers lui, car sa fierté souffrait extrêmement de la situation où il se trouvait. Il sentait que ses assiduités auprès d’Éveline ne pouvaient se prolonger davantage sans la sanction officielle du père de famille. Il s’était donc résolu à la demander ce jour-là, et, quand il vit Dutertre seul et à pied, il descendit de cheval et se mit à marcher près de lui, espérant, comptant presque que Dutertre allait le premier briser la glace.

Mais Dutertre, pâle, malade, accablé, le consterna par la différence de son accueil avec celui des autres jours ; son front chargé d’ennuis, son regard investigateur, ses paroles contraintes firent croire à Thierray que l’équipée d’Éveline était découverte, et qu’il se trouvait en présence d’un père justement irrité, qui attendait, dans une attitude sévère, l’offre de la réparation inévitable.

Thierray n’était nullement préparé à se jeter la tête en avant dans le précipice du mariage avec une fille sans cervelle. Il avait compté parler de ses espérances et avoir du temps pour se raviser, si l’inconséquence d’Éveline l’y forçait, sans l’exposer à aucun blâme. En se croyant pris dans un piége, peut-être tendu par elle avec plus d’habileté qu’elle n’en paraissait capable, peu s’en fallut qu’il ne la prît en aversion.

Enfin il fallait s’exécuter, car Dutertre parlait de la pluie et du beau temps d’un air préoccupé que Thierray prit pour un air ironique et menaçant.

— Monsieur, dit Thierray, vous me faites l’honneur, j’espère, de ne pas me regarder comme un misérable, et j’ai hâte de vous prouver que je suis digne de l’estime que vous m’avez témoignée jusqu’à ce jour ; mais, avant tout, j’ai besoin de vous demander si vous me croyez capable