Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Irrité contre moi, sans doute ? dit Dutertre, étonné du feu de son regard.

— Eh bien, répondit le jeune homme, exalté comme un saint des anciens jours, mortellement blessé par vous, qui m’auriez outragé et déshonoré dans votre for intérieur,

— Enfant enthousiaste, dit Dutertre, je ne veux pas, je ne peux pas douter de vous… ni d’elle ! ajouta-t-il avec un peu plus d’effort.

— Encore moins d’elle, j’espère ! s’écria Amédée prêt à reprocher à Dutertre de ne pas assez vénérer sa femme.

— Je sais qu’elle ne vous aime que comme son fils, comme je vous aime ! répondit Dutertre. Si j’en avais jamais douté, j’en serais sûr en ce moment, où je viens de l’entendre vous parler de son affection pour moi en des termes qui m’honorent. Mais je vous répète, enfant, que votre malheureuse passion vous crée une situation impossible, au-dessus des forces humaines !

— Vous ne connaissez pas la mesure des miennes, mon ami, dit Amédée avec animation. Il y a des souffrances qu’on aime, précisément parce qu’on sent qu’on les domine. Le jour où, exilé auprès d’elle, je n’aurai plus de mérite à souffrir pour vous, je serais brisé. Je l’ai essayé plusieurs fois ; je le sais, l’absence me tue, et c’est alors que ma passion m’écrase. Sa présence à elle me ranime et me rend l’empire de moi-même. Me croirez-vous, moi que vous appelez la bouche sans souillure, si je vous dis que, quand elle est là, devant moi, je ne souffre pas, je n’ai pas de désir, je ne conçois pas qu’on en puisse avoir ; que je me sens aussi calme, aussi pleinement heureux qu’un enfant auprès de sa mère ; que je n’ai jamais désiré de baiser sa main en la regardant ; que mon cœur ne bat pas quand elle s’appuie sur mon bras ; que mon sang