Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/259

Cette page n’a pas encore été corrigée

ment de ses devoirs envers lui. À cette heure solennelle de minuit, qui termine un jour de notre courte vie pour en ouvrir un autre dont nul de nous n’est assuré de voir la fin, il y a quelque chose d’effrayant et d’affreux à se séparer des membres de sa famille sans avoir pu leur pardonner ou les bénir.

Mais Dutertre était à bout de ses forces. Il alla errer dans son appartement, en proie à un désespoir calme et profond. Chef de famille avant tout, il déplorait la rivalité qui minait toutes ses espérances de bonheur. Il s’effrayait des forces de Nathalie pour la haine. Il pleurait sur cette âme froissée qui ne devait jamais connaître le vrai bonheur. Il s’affectait aussi de voir que cette hostilité opiniâtre avait réussi à troubler l’âme de sa femme jusqu’à lui faire oublier un instant sa générosité, son équité naturelles.

Mais c’était peu que cette souffrance. Une autre, bien plus énergique et moins combattue par la résignation, lui succéda.

Dutertre n’avait jamais eu seulement la pensée d’être jaloux de sa femme. Depuis quatre ans qu’elle était devant lui comme un miroir de pureté, sans que jamais un regard de distraction, une ombre de coquetterie, vinssent à le ternir, il avait vécu dans son amour comme dans le sein de Dieu. Cette confiance sans limites, ce respect inaltéré, faisaient sa force et sa consolation au sein des luttes du monde et de la famille. Non-seulement il n’avait pas cru possible qu’elle aimât un autre que lui, mais encore qu’elle fût aimée d’un autre, tant il la voyait préservée par son auréole de chasteté naturelle et de fidélité exclusive.

Dutertre se trompait quant au dernier point ; là, son optimisme, sa générosité de cœur, sa candeur extraordi-