Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée


XXI


Nathalie feignit de se trouver vaincue, et cependant, moitié terreur de voir l’arme qu’elle tenait se retourner contre elle-même, moitié remords du mal qu’elle allait faire à son père, elle se débattit encore. Il est peut-être des âmes complétement corrompues après une carrière mauvaise ; il n’en est pas de complétement perverses au début de la vie, et Nathalie sentit en ce moment un grand combat livré par ses entrailles et sa conscience au démon de la haine et de l’envie.

— Mon père, dit-elle, ne parlez pas ainsi, ne me tentez pas, ne mettez pas en jeu ma fierté outragée. Je ne dois pas vous donner cette lettre. Vrai ! souvenez-vous de ce que je vous dis, je ne le dois pas ! Ce n’est pas ce que vous croyez. Cela ne concerne ni Thierray ni Éveline. Il y a là un mystère que vous n’avez plus le droit d’éclaircir. Vous avez juré ! Vous ne pourriez combattre pour votre honneur qu’en risquant de le compromettre, soit comme père, soit comme…

Elle s’arrêta effrayée du mot qu’elle allait prononcer. Son père l’acheva :

— Soit comme époux ? dit-il.

Et une pâleur mortelle se répandit sur son visage. La plaie qu’il croyait fermée se rouvrait.

— Allons, dit-il avec énergie et en tendant la main pour recevoir la lettre, donnez ! J’ai résolu de ne laisser couver aucun feu sous la cendre, de ne m’endormir sur aucune apparence de calme trompeur. Puisque la pensée du mal veille autour de moi, mon devoir est de l’éteindre ; donnez-moi cette lettre !