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disant que ce qui était à elle était à elle. Dutertre, étonné, s’en mêla ; il croyait voir, comme Thierray et comme Éveline, que Nathalie se faisait un méchant plaisir de rendre sa sœur jalouse, et de troubler le naissant bonheur de ces deux amants. Il insista avec douceur, mais sa voix avait plus de fermeté que ses paroles n’en voulaient montrer. Nathalie, se tournant alors vers Thierray, lui dit :

— On me force, monsieur, à faire l’aveu d’une chose déplorable. C’est que j’ai perdu votre lettre une heure après l’avoir reçue ; mais les poètes ont une merveilleuse mémoire, et je suis sûre que vous pourriez nous réciter vos quatre cents vers sans vous gêner.

— Ce sera fort ennuyeux, répondit Thierray, car ils sont mauvais : je les ai fait tristement et sans inspiration. Mais, puisque vous voulez condamner votre père et votre sœur à les entendre, je vais tâcher de me les rappeler.

Aidé, en effet, par beaucoup de mémoire et de facilité, improvisant là où il y avait lacune dans son souvenir, il récita les quatre cents vers, que Nathalie parut écouter comme si elle ne les connaissait pas. Il la soupçonna de les avoir jetés au feu sans daigner les lire, et lui pardonna plus volontiers ce mépris qu’il n’eût fait d’un essai de perfidie.

Éveline trouva tout charmant. Dutertre applaudit beaucoup. Thierray se retira sur un succès, croyant laisser Nathalie sur une défaite. Il ne se doutait pas qu’elle tenait sa victoire, comme elle se le disait intérieurement, par les ailes.

Dutertre, après qu’Éveline, brisée de lassitude, se fut retirée aussi de son côté, essaya d’arracher à Nathalie le mot de l’énigme.

— Mon père, lui dit-elle, ne me le demandez jamais.