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ne jamais ouvrir la porte sans son ordre. Mais trahir une personne pour une petite bêtise qu’elle a voulu faire… non, je ne peux pas vous obéir.

— Vous m’avouez pourtant que c’était une femme ? dit Thierray voulant éprouver Forget jusqu’au bout.

— Je peux bien ne pas en être plus sûr que monsieur, répondit Forget, à qui la délicatesse des sentiments tenait lieu de finesse d’esprit ; le revenant ne m’a pas parlé ; il avait un masque. Je ne sais d’une femme que ce qu’on m’en a dit. On a bien pu se moquer de moi. Alors, monsieur, ni vous ni moi, nous ne savons rien, et c’est le mieux.

Thierray, qui n’était point né aristocrate, et qu’aucune habitude d’enfance n’empêchait de se livrer à son impulsion naturelle, tendit la main à son domestique, qui, élevé, lui, dans d’autres idées, hésita à la lui donner, et ôta son chapeau d’une main en recevant, de l’autre, cette marque d’estime. Thierray ne dit rien et s’éloigna. Forget réfléchit un instant, se demanda s’il devait prendre au sérieux son nouveau maître ; comprit, grâce à sa droiture naturelle, plus forte que les préjugés de l’éducation, qu’il pouvait l’estimer en conscience, et alla brosser son cheval, tout en faisant ses réflexions intérieures sur le mécontentement paternel que lui causerait une fille aussi écervelée que l’était son ex-patronne Éveline. Dans ses idées, qui n’étaient pas dépourvues de justesse, se compromettre pour une passion n’était pas un crime ; mais s’exposer pour une espièglerie, c’était un grand mal. Il faut dire qu’il n’y avait pas de cœur plus généreux et d’esprit moins enjoué que le cœur et l’esprit de Forget.

Thierray alla guetter, des hauteurs du parc, l’arrivée d’Éveline sur tous les sentiers et chemins qui aboutissaient vers le château. Il était neuf heures quand il la vit