Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/234

Cette page n’a pas encore été corrigée

— N’est qu’un cuistre ! dit Thierray. Allons, j’en conviens. Oubliez ma dureté ! Dieu veuille que ceci reste entre nous un secret qui ne nous force pas à nous aimer avant de nous connaître !

— Quel paradoxe, monsieur l’écrivain ! On se connaît de reste quand on s’aime ! Si nous en étions là, nous nous moquerions bien d’être découverts dans ce tête-à-tête !

— Eh bien, parlez pour vous, dit Thierray, pour vous, bizarre enfant, qui pouvez donner à ce point votre estime et votre confiance sans donner votre cœur et votre foi. Mais, moi, j’ai peur de vous aimer avant de pouvoir me fier à vous, et voilà pourquoi je suis si maussade.

— Allons, vous voulez, pour m’estimer, que je vous dise ici, et maintenant, que je vous aime ! Je ne le ferai certes pas, et, si je viens jamais à en être bien sûre, ce sera à Puy-Verdon et en présence de tous les miens que je vous le dirai. En attendant, savez-vous une chose ? c’est que je meurs de faim dans votre château de Mont-Revêche.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria Thierray, voilà bien un autre embarras ! Les enfants sont comme cela ! Dans les situations les plus critiques, leur estomac crie comme si de rien n’était, et ils vous demandent à manger. Où vais-je trouver, dans cette cellule d’ermite, de quoi satisfaire l’appétit royal de la dame de Puy-Verdon ?

— Je vais vous le dire, répondit Éveline. Tout à l’heure, en me dirigeant à tâtons dans la salle à manger, qui est ici près, j’ai mis la main sur quelque chose de poissé qui m’a bien fait l’effet d’être une tarte aux confitures. J’avais déjà faim, et j’avais quelque envie de profiter de l’occasion ; mais j’ai eu peur que, surprise par vous dans cette opération matérielle, il ne me fût difficile après de passer pour un spectre.