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d’épouser une femme qui plaît, qu’on la veut trop parfaite. On s’en dégoûte, parce qu’on devient féroce ; on ne lui passe plus rien.

» Moi, je trouvais Éveline ravissante pour le plaisir que je lui demandais, plaisir tout intellectuel, tout poétique et parfaitement innocent. Mais passer de là au projet d’en faire mon amie exclusive, ma compagne pour toujours, c’est trop ! C’est tout au plus si, en supposant qu’elle fût une jeune veuve au lieu d’être une jeune fille, j’aurais eu assez de confiance en elle pour vouloir être son amant.

» Ce n’est pas qu’elle soit bien rusée ; c’est une vraie coquette de son village. Je ne craindrais donc guère d’être trompé par elle ; mais, sans être de force à vous jouer, elle a la manie de jouer avec vous comme avec un éventail, vous fatiguant, vous secouant, vous usant sans cesse. Or, quand on se laisse beaucoup user, on devient si mince, qu’un beau jour on vous brise ; et à quoi bon se faire mettre en pièces par la main d’un enfant gâté qui ne sait même pas si vous êtes un objet de prix, ou un colifichet de la boutique à vingt-cinq sous ?

» Et puis, enfin, mon cher ami, — car, en raison de l’intérêt affectueux que tu me portes, je dois m’excuser de n’avoir pas suivi tes bons conseils, — je t’avouerai que je ne suis pas assez jeune homme pour m’absorber ainsi dans un papotage de femme. J’aurais besoin d’une bonne créature qui s’occupât un peu de moi, et non d’une merveilleuse qui veut m’occuper toujours d’elle. À défaut de cet idéal, j’avais faim et soif de travailler et d’être seul, ou tout au moins de savoir si, dans la solitude absolue, je pourrais satisfaire mon besoin de travailler. La première soirée a été maussade. Il faisait du vent ; un vent si impétueux, qu’il a réussi à faire tourner les girouettes