Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/179

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ma fille, reprit l’infortuné Dutertre contenant sa douleur et son indignation, je vous adjure par votre mère, que j’ai aimée, rendue heureuse et pleurée douze ans, de me parler avec confiance et sincérité. Ne vous plaignez pas, si c’est vous humilier que d’ouvrir votre cœur à un père qui vous chérit ardemment ; mais faites valoir vos droits auprès de lui, s’il a eu le malheur de les méconnaître. Parlez.

— Vous n’avez eu aucun tort personnel envers moi, mon père, répondit Nathalie se posant comme un juge bien plutôt que comme un appelant, et vous n’avez méconnu jusqu’ici aucun de mes droits. Je souffre parce que je souffre, et il ne dépend pas de vous que je me trouve heureuse.

— Alors, confiez-vous à moi, prenez-moi pour votre confident, et je tâcherai de faire cesser vos peines.

— Vous ne le pouvez pas, mon père : vous êtes invinciblement lié pour la vie à une personne qui m’est antipathique et auprès de qui l’existence m’est amère et pénible. Je m’ennuie mortellement ici : je suis condamnée à y vivre loin de vous, au milieu d’une famille qui ne partage pas mes goûts et sous l’apparente dépendance d’une femme pour laquelle je n’ai que de l’éloignement. Ne me demandez pas quels sont ses torts envers moi. Elle n’en a volontairement aucun ; mais, à mes yeux, elle a celui d’être une société obligée, une figure importune, un chef de famille femelle qui usurpe ma place. Si vous n’aviez pas de femme, vous comprendriez que je suis d’un âge et d’un caractère qui m’autorisent à vous suivre partout, même en surveillant mes sœurs et en vous répondant de leur bonne tenue dans le monde. Si j’étais, moi, la compagne de votre vie et le délégué de votre autorité, Éveline ne serait pas une folle et Caroline une