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perçait je ne sais quel esprit de critique et, partant, de révolte.

— Oui, dit Éveline toujours audacieuse, vous connaissez encore l’amour, vous l’éprouvez, vous l’inspirez, parce que vous êtes jeune et beau, et vous paraissez aussi compétent que possible pour nous donner une théorie sur l’art de se faire aimer. Mais, quelque versé que vous soyez dans cet art, laissez-moi vous dire qu’il n’y a pas de système applicable à tout le monde, et que chacun doit trouver celui qui lui est propre. Laissez-moi chercher ou expérimenter le mien sur Thierray, in animâ vili, que vous importe ?

In animâ vili ? C’est Nathalie qui t’apprend ce latin-là ! Voilà bien du mépris pour ce pauvre Thierray, et il ne mérite certes pas d’être traité comme l’esclave sur qui on essaye l’effet de certains poisons. S’il en est ainsi, ma fille, comme je ne suis pas chargé de vous fournir de pareils sujets, et que Thierray, peu habitué à remplir un pareil office, pourrait bien oublier son savoir-vivre, et s’échapper malgré lui jusqu’à vous donner quelque dure leçon dont je ne pourrais être le témoin impartial, je vais le congédier doucement sous quelque prétexte, ou plutôt vous envoyer faire un petit voyage de santé chez une de vos tantes, jusqu’à ce que votre victime se soit éloignée d’elle-même.

Et Dutertre se leva, craignant sa faiblesse, et voulant laisser Éveline sur cette petite anxiété.

Mais Éveline le retint, et, recommençant ses pleurs, elle se plaignit, sans suite et sans raison, d’être humiliée, traitée comme une enfant, menacée d’une pénitence et déshéritée de la douce indulgence, par conséquent de la tendresse de son père. L’heure s’écoulait. Éveline n’était pas habillée, ses beaux cheveux tombaient en désordre