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hommes avec lesquels on a d’aussi bonnes chances que possible pour un avenir à deux.

— Ainsi, mon père, dit Éveline, c’est un prétendant que vous nous avez amené là ?

— Non, ma fille ; c’est vous qui en avez fait un prétendant peut-être, par l’attention que vous lui avez accordée ; moi, je l’ignore. Je ne choisis pas pour vous ; je n’ai jamais formé, je ne formerai jamais de projet qui pourrait blesser vos inclinations et vous enlever votre initiative. Dans cette société, très-difficile à traverser, parce qu’elle est à la fois très-exigeante et très-corrompue, j’ai cherché à vous ouvrir une voie aussi douce et aussi sûre que possible, en vous laissant, à toutes trois, sur le point capital du mariage, une grande liberté de choix. Mais ce respect de vos droits les plus délicats, cette confiance dans votre jugement, ne devaient pas me rendre aveugle et téméraire. Je ne devais pas vous lancer sans réflexion dans un monde plein de hasards et de dangers, parce qu’il est plein de vices fardés et d’apparences menteuses. Je devais faire ce que j’ai fait : vous tenir dans une retraite agréable, où je ne laisserais pénétrer que des hommes sûrs, incapables de vous tromper, de vous rechercher lâchement pour vos richesses, et où vous seriez libres de choisir, non pas dans une foule d’aspirants, mais parmi un petit nombre aussi bien épuré qu’il m’était possible de le faire. Là s’est borné mon rôle ; et je ne sais pas ce que, dans ma situation vis-à-vis de vous, j’eusse pu faire de plus pour concilier la tendresse avec la prudence, mon besoin de vous voir heureuses avec mon devoir de vous faire respecter.

— Je comprends tout cela, mon père, dit Éveline, qui avait écouté avec assez d’attention, et je suis fâchée que vous ne m’ayez pas jugée plus tôt assez raisonnable pour