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— Oui, plus qu’à moi-même, dit Dutertre, mais non pas plus qu’à cet ange de douceur et de bonté.

— Pardonnez-moi, mon oncle, reprit Amédée avec énergie, vous leur devez davantage. C’est l’âme plus que le corps qu’il faut sauver en ce monde. Olympe est en paix avec Dieu. Sa conscience ne faillira pas à ses devoirs. Si elle meurt, c’est nous qui serons à plaindre, et non pas cette intelligence divine qui retournera vers les cieux ; mais il nous restera des devoirs à remplir sur la terre, et, si votre tendresse se retire de vos filles, elles seront perdues pour le monde d’ici-bas comme pour le monde de là-haut.

Dutertre serra convulsivement la main de son neveu.

— Oui, dit-il, tu as raison, je suis un homme faible, et je reçois d’un enfant une leçon profonde et terrible. Eh bien, je l’accepte. Dieu est dans l’âme des enfants purs et parle par leur bouche. Oui, je me sacrifierai, et le devoir gouvernera la passion, même la plus sainte et la plus sacrée qu’il y ait au monde. Si on tue dans mes bras l’objet de mon culte, je l’ensevelirai dans mon cœur sous mes propres ruines, mais je cacherai le crime et ne le punirai pas.

En proie à une violente exaltation, Dutertre s’éloigna, erra seul quelques instants au fond du parc et revint calme et maître de lui-même.

Cependant Thierray poursuivait son expérience fiévreuse auprès d’Éveline. On sait qu’il s’agissait pour lui, ce jour-là, de savoir si elle le charmait assez pour qu’il pût vivre le soir avec sa pensée dans la solitude de Mont-Revêche. Thierray vivait encore par l’imagination au jour le jour. Certes, il n’avait pu braver impunément, depuis une semaine, le feu des coquetteries d’une fille charmante, bizarre, audacieuse, spirituelle et chaste, en dépit