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dû à ton intelligence, à ta fierté, à ta droiture, j’étais révolté de cette injustice.

— Mais, depuis, Flavien, quand nous nous sommes retrouvés jeunes gens, et puis hommes faits, dans le monde, n’as-tu pas eu pour moi le sentiment de la protection plutôt que celui de la sympathie ?

— J’ai eu l’un et l’autre, mon cher ami.

— Mais tu aurais dû me connaître assez pour savoir que cette idée d’être protégé par un homme…

— Moins instruit et moins intelligent que toi, te blessait, n’est-ce pas, c’est cela ?

— Eh bien, oui, soyons francs. N’as-tu pas sur moi d’autres avantages incontestables ? Tu es beau comme un chasseur antique, et je suis maigre et noir comme un scribe. Tu es un noble comte, et je suis un croquant, moi, comme l’amant de madame Hélyette. Tu as la grâce et l’aisance qui font que tu causes souvent mieux que moi sans te donner aucune peine, tandis que je sue sang et eau, sans en avoir l’air, pour mettre un frein à une exaltation qu’on peut prendre pour de l’emphase, à une ironie qui pourrait être taxée d’impertinence. Tu es toujours dans la science de la mesure des mots, et je ne suis que dans celle de la mesure des idées. Tu vogues à ton aise dans le convenu ; moi, j’y étouffe ; enfin tu pourrais être un sot sans qu’on s’en doutât, et moi être traité en fou, en ayant beaucoup de raison. Donc, passe-moi la vanité d’avoir cru quelquefois que j’avais le fond et toi la forme. Aujourd’hui, tout tombe devant ta franchise, et je t’avoue que je me sens le plus petit de nous deux.

— Pourquoi donc, mon ami ?

— Parce que tu viens de me dire une grande parole : Je t’ai toujours aimé ! Et, moi qui en avais tou-