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— Non ; mais, devant le monde, je te suis par amour-propre, et, quand nous sommes seuls, je te suis par habitude.

— Pourquoi mettrais-tu de l’amour-propre a cela ? Tu montes parfaitement bien.

— Il est vrai qu’on ne met d’amour-propre que dans les choses qu’on ne fait pas bien, et c’est à cause de cela que j’ai la sottise d’en mettre dans l’équitation. Je l’ai apprise avec rage ; je me suis assoupli les muscles et assuré la main avec une rapidité étonnante. J’ai analysé l’étude du cheval assimilé à l’homme, et de l’homme assimilé au cheval, avec un sérieux formidable. J’ai dépensé plus de force physique et de volonté pour cette belle science que pour apprendre à penser et à écrire, le tout par amour-propre ; et malgré tout, Éveline m’a dit ce soir une grande vérité : « Vous nous jetez de la poudre aux yeux ; vous avez bonne grâce, vous faites valoir votre monture ; mais vous n’êtes pas vraiment solide, et, un beau jour, vous vous casserez le cou. »

— Était-ce une métaphore ?

— Peut-être ! Mais il en est de cela comme de tout le reste. Pour être homme de cheval, il faut avoir abordé le manège dès l’enfance. Il faut être né, pour ainsi dire, à cheval, comme les enfants de famille et les grooms, comme les jeunes seigneurs et les enfants de ferme. Nous autres, descendants des races vouées au commerce, à la chicane, aux arts ou aux métiers, toute notre force, toute notre souplesse, toutes nos aptitudes, sont dans le cerveau ou dans la main. Nous naissons et grandissons dans la poussière des comptoirs, des bureaux ou des ateliers. Nos muscles s’y étiolent, notre sang s’y appauvrit, nous ne vivons plus que par les nerfs. Plus tard, si les séductions du loisir s’emparent de nous, nous sommes assez adroits