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quant à nous, un cœur libre, une table rase. Il vient ici pour vendre son domaine, preuve qu’il n’a aucun désir de conserver un pied-à-terre près de nous, aucun dessein d’épouser Tune de nous. Je dois donc le traiter comme un personnage sans conséquence, puisqu’il n’est pas enrôlé dans le corps des prétendants à ma dot. Il est riche, c’est un droit à mon estime. Je méprise les pauvres qui cajolent les ridicules et les travers d’une femme riche. Il n’a pas été frappé des charmes transcendants d’Olympe, puisqu’il dort au lieu de courir au-devant des remercîments qui l’attendent. Sa galanterie à l’endroit du clavecin est celle d’un homme qui apporte un cornet de bonbons à des petites filles. Sa confiance en mon père est le dédain seigneurial d’un patricien qui ne veut pas être en reste de procédés vis-à-vis d’un roturier. Décidément, M. de Saulges a du bon, et, par la raison que je ne lui plais pas, j’aimerais assez à lui plaire.

Elle se rapprocha, et, se tenant un peu en arrière du banc, de manière à voir le dormeur en profil et à pouvoir disparaître derrière les massifs au moindre mouvement qu’il ferait pour s’éveiller, elle examina sa figure avec attention.

Flavien avait une de ces beautés fières et vaillantes qui flattent l’orgueil d’une souveraine ; la taille élevée, les épaules larges, la ceinture fine, les traits admirablement dessinés, la chevelure blonde, épaisse, abondante ; les mains grandes, mais blanches, et d’une belle forme ; enfin, la vigueur et la fierté des antiques races équestres.

— Il est trop beau pour ne pas être un peu bête, pensa Nathalie. Mais la nullité, chez ces êtres-là, est couverte d’un trop beau vernis de savoir-vivre pour qu’une femme ait à en rougir. On n’aime pas les gens pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils paraissent aux autres. La reine Élisa-