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tout sonffrir individuellement plutôt que de décréter la durée indéfinie de la souffrance des autres. Le jour où chacun de nous aurait le cœur assez grand pour dire : « Je veux bien être malheureux à la place de tous, » tous seraient heureux sans exception. Ne dites pas que je prêche la vertu impossible. Je prêche l’intérêt personnel aussi bien que l’intérêt général : il y a là une étroite solidarité. Vous croyez, vous, que le triomphe de la raison amènera infailliblement la lumière sur cette solidarité ? J’en suis sûr comme vous ; mais que la raison est une chose difficile et longue à acquérir sans l’élan du sentiment ! Le cœur est bien un autre civilisateur que l’esprit ! C’est l’Apollon vainqueur des montres qui monte un char de feu ! Songez que nous datons de 89, une nuit de délire enthousiaste. C’est qu’en une nuit, en une heure, l’émotion fait le chemin qu’un siècle de réflexion n’a pu faire. Je vous estime fort pour votre sagesse, mon cher enfant ; mais je vous trouve un peu vieux pour moi, et je suis étonné d’avoir à vous exciter quand je devrais être rajeuni et gourmandé par vous.

Il y a du vrai dans ce que dit l’ermite. Nous ne sommes pas de notre âge ; mais à qui la faute ? Au temps où nous vivons. Ce n’est pas de César, c’est du doute que nous pouvons dire : Hœc otia fecit ! Nous avons une rude mission à remplir ; on a bercé notre enfance de trop de systèmes, on nous a étourdis de controverses. On nous a abrutis de sophismes et de vérités jetés ensemble dans l’inextricable mêlée de 48, et, comme nous avons été trop émus pour y voir clair, comme aujourd’hui nous sommes encore trop jeunes pour faire le triage, nous attendons et nous nous méfions de tout ce qui n’est pas nous. M. Sylvestre avoue