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essayer de tous les métiers et à simplifier les ustensiles à mon usage. C’est barbare, mais c’est drôle, et quelquefois ça m’occupe passionnément. Le soir, je lis ou j’écrivaille, ça m’amuse aussi. Enfin je dors serré, ce qui m’amuse encore plus, car je rêve beaucoup, et mes rêves sont généralement agréables. Vous voyez bien que je n’ai pas le temps de m’ennuyer.

— Et pourtant la solitude à la longue… Quoi ! jamais de tristesse sans motif, d’épouvante sans cause ?

— Si fait, quelquefois comme tout le monde : mais le remède est sous ma main, et j’y cours. Vous voyez bien ce hameau des Grez qui est là sous mes pieds ? Si la tristesse me prend la nuit, j’ouvre ma fenêtre, je regarde les toits, j’écoute le silence et je me dis : « Bon ! il y a là des gens qui dorment bien. » Ça me suffit, je ne suis pas seul. Le jour, si je me sens un peu désœuvré, je descends le sentier, j’entre chez le premier villageois venu et je cause. Tous ces paysans sont des hommes comme vous et moi, ils ont leurs qualités et leurs défauts, leur sagesse et leurs travers. Quelques-uns ont du mérite ou de l’esprit. Nous vivons tous de la même vie, tout ce qui les intéresse m’intéresse plus ou moins, sauf l’amour de la propriété, qui les tourmente et qui ne me tourmente pas ; mais je ne leur fais pas la guerre là-dessus ; ils ont des devoirs et des droits que je n’ai plus. Voilà ma vie. Voulant l’achever à ma guise malgré la pauvreté, j’ai pris le métier d’anachorète, car c’est moi qu’on appelle l’ermite dans le pays ; mais, aimant mes semblables quand même, je n’ai pas fait la sottise d’aller au fin fond des forêts, ou de me percher au sommet des hautes montagnes. Le désert est partout quand on est vieux et pauvre, et on peut le trouver, comme vous voyez, à une heure de Paris.