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cité. On peut se croire ici dans un désert fraîchement exploité par l’homme. La longue colline qui l’enferme a un air de forêt vierge en train de repousser, et le val ondulé, qui n’a dans sa plus grande largeur qu’une lieue tout au plus, a pourtant quelque chose de grand qui fait songer à la prairie primitive. Les arbres y sont jetés sans symétrie, chaque propriétaire ayant planté au lieu favorable et concouru sans le savoir à la composition d’un tableau dont le naturel est admirablement réussi. Si des villas sont cachées derrière certains massifs, je n’en sais rien. Tout ce qui apparaît des rares habitations que je découvre est, par sa simplicité rustique, en harmonie avec le paysage. J’ai bien sous les yeux quelques murailles blanches qui coupent disgracieusement les jardins maraîchers du voisinage. En été, tout cela doit être couvert de pampres. C’est la dernière poussée du village, auquel je tourne le dos. Au delà commence l’oseraie, et dans tout le reste pas une ligne froide, pas un angle fâcheux, pas une clôture apparente. Les différentes zones de culture se fondent mollement à mesure qu’elles s’éloignent, et les derniers plans se plongent vers le soir dans un ton laiteux d’une finesse inouïe.

J’aime les vues fermées. Elles seules me donnent l’idée de l’infini. Une grande surface à découvert vous révèle trop de choses qui doivent ressembler à celles qu’on voit, tandis que la moindre hauteur boisée qui s’oppose à toute investigation du regard vous permet de rêver à l’inconnu qui est sur l’autre versant. Que sais-je du pays qui est au delà de ce court horizon ? Est-ce un vaste plateau de terres arables ? est-ce le prolongement d’une forêt mouvementée ? est-ce un ravin profond, un précipice ? Libre à moi de m’ima-