Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/275

Cette page n’a pas encore été corrigée

étaient bien durs. Ce n’est probablement pas fini. Je n’ai donc pas à me préparer à autre chose, et cela suffit à ma taille. La sagesse des gens qui sont dans ma position consiste à savoir se passer de ce que vous appelez le bonheur. Oh ! j’ai lu attentivement l’article de M. Sorède dans la revue. Je ne sais pas encore s’il croit au bonheur ou s’il le nie, la question n’est pas là pour moi ; mais j’ai tiré ma petite conclusion d’avance : c’est que de tout temps les hommes se sont rendus malheureux pour avoir voulu être plus heureux qu’il ne leur est nécessaire de l’être, et je me suis bien sérieusement demandé s’ils méritaient une si grande félicité quand tout dans l’univers se soumet à la souffrance et se contente de la somme de compensations qui lui est échue. Puisque le bonheur, qui est, je le suppose, le plein exercice d’une grande plénitude de hautes facultés, est si difficile, pour ne pas dire, impossible à atteindre, pourquoi donc ne mettrait-on pas son ambition à posséder quelque chose de plus facile à saisir, la résignation par exemple, la modestie des aspirations, une sagesse douce et pieuse, une patience attendrie que je comparerai, si vous le permettez, à un jour de pluie fine avec quelques doux rayons de soleil ? Ne peut-on vivre avec cela quand on n’est ni aigle, ni lion, ni d’humeur conquérante, ni doué de forces immenses, ni saint Michel, ni millionnaire, ni riche, ni ermite ? Je comprends bien que M. Sorède, écrivain, ambitionne la renommée, que M. Nuñez, capitaliste, aspire à répandre des bienfaits, et que M. Sylvestre, philosophe, rêve les victoires du stoïcisme. Il n’en faut pas tant au commun des martyrs : qu’ils montent paisiblement les degrés de leur calvaire ignoré et qu’ils se disent : « Je ne pourrais