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Ne prenez pas cela pour une banalité. Je connais trop les hommes pour en estimer beaucoup.

— Pourquoi donc m’estimez-vous tant que ça, mon cher Gédéon ? Qu’ai-je fait de si remarquable et de si méritant ?

— Je ne vous dis pas que vous ayez fait des merveilles, mon cher ; mais votre caractère n’est pas celui d’un autre. Enfin je m’entends, et il ne tiendra pas à moi que vous ne fassiez votre chemin dans la vie… Me remerciait-il de ne pas avoir fait la cour à mademoiselle Vallier, ou m’engageait-il à ne pas la lui faire ? Mademoiselle Jeanne est partie à deux heures du matin avec madame Duport, et je suis resté. Que veux-tu ! c’est bête, mais je voudrais savoir si je joue un rôle ridicule ou misérable dans l’esprit de Gédéon. Il m’est venu des doutes terribles sur le mérite de ma prose et sur la sincérité de d’Harmeville à mon égard. Qui sait si Gédéon n’est pas un des principaux actionnaires de sa revue, si son argent ne m’a pas protégé beaucoup plus que mon mérite ? D’Harmeville est un fort galant homme, mais il y a des influences qu’il faut bien un peu subir quand le protégé n’est pas tout à fait un crétin.

Enfin ma position me tourmente. Je n’ai pas voulu avoir une pensée d’amour pour mademoiselle Vallier. Ma conscience me le défendait, et, pendant que je n’y voyais que du feu, cette vertu si pure et si respectée était peut-être l’objet de convoitises plus hardies et d’espérances mieux fondées. Ça m’est égal, il y a des jours d’ironie où l’on se dit que deux beaux yeux sont deux beaux yeux, qu’ils soient verts, bleus ou noirs, et qu’il y a beaucoup de beaux yeux partout ; mais, si Gédéon se persuadait par vanité qu’il m’a