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J’interrompis Aldine. Je ne l’écoutais guère : j’étais préoccupé d’un remords personnel. Je me rappelais malgré moi un aveu charmant, bien plus délicat que les condoléances étourdies de Jeanne. Le moment n’était-il pas venu, à présent qu’elle sait qui je suis, de lui faire amende honorable ? Aussi, sans trop réfléchir aux conséquences, emporté par un sentiment d’équité irrésistible, je l’interrompis pour lui dire qu’après tout je me souciais bien peu de la familiarité de mademoiselle Jeanne, et que je regrettais le temps où je pouvais m’imaginer qu’en m’appelant M. Pierre, mademoiselle Vallier avait un peu d’estime et d’amitié pour moi. J’ajoutai que je comprenais bien l’extrême réserve qui devait régner entre nous, maintenant qu’elle se trouvait sous les yeux d’un monde moins bienveillant que nos amis les paysans de la vallée, mais je tenais à saisir une occasion fortuite, probablement unique, de lui renouveler l’hommage de mon respect et de ma sympathie.

Hélas ! je mentais un peu : mon respect et ma sympathie ont légèrement diminué depuis qu’elle a voulu, malgré l’avis de M. Sylvestre, se fier à la protection, encore problématique pour moi, de Gédéon Nuñez ; mais, comme après tout je n’ai rien vu qui me donnât le droit de soupçonner le mal, je pensais devoir payer une vieille dette, afin qu’il n’en fût plus jamais question.

Elle me remercia de mon compliment : mais, plus prudente ou plus pudique que Jeanne, elle ne voulut pas avoir l’air d’en saisir la portée rétrospective. Elle m’assura avec un peu de froideur que son estime pour moi n’avait fait qu’augmenter lorsqu’elle avait appris les circonstances où je me trouvais, et elle ajouta,