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Tu prétends que je boude mademoiselle Vallier tout en me rapprochant d’elle et en fréquentant le château quelle habite. Tu dis n’être pas dupe du ton d’indifférence avec lequel je te parle d’elle, et que cela cache une secrète jalousie. Je t’ai laissé dans le romanesque, et tu ne veux pas rentrer dans la plate réalité. Eh bien, le roman tourne d’un autre côté, et, puisque tu en veux, je vais t’en donner.

L’autre jour, à la Tilleraie, comme nous étions en pleine partie de billard, une carrossée de visiteurs s’est abattue sur Gédéon, et juge de ma surprise quand j’ai vu madame Duport présenter aux vieilles demoiselles Nuñez, sœurs du châtelain, mademoiselle Jeanne de Magneval ! Oui, Jeanne la rousse, la fille d’Irène la courtisane, laquelle est une pécheresse convertie et purifiée au dire de Rébecca, de Rébecca, juive baptisée et, par conséquent, fervente catholique. Les sœurs de Gédéon sont baptisées aussi, et, si Gédéon ne l’est pas, ce n’est pas faute de persécution ; mais il tient bon pour lui et ses enfants, par respect pour sa défunte femme, qui était attachée à la tradition de famille : au fond, il est aussi sceptique que moi.

Tant il y a que, quand on est du monde, il faut subir les influences les plus contradictoires, et que la haute dévotion de mademoiselle Irène est un passe-port pour sa fille ici et ailleurs. La dame n’ose pas encore se présenter en personne : mais cela pourra bien arriver un jour ou l’autre, par la projection des bonnes âmes et la recommandation du clergé. En attendant, la belle Jeanne se produit avec un grand air de candeur et de nonchalance aristocratique, et madame Duport, qui parait s’intéresser beaucoup à elle, m’a