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jugé contre les rousses s’est changé en engouement dans nos idées d’artistes, et je suis de ceux qui aiment à protester contre les erreurs du passé. Je n’avais donc pas d’objection contre la couleur, et mon oncle, qui avait employé je ne sais combien de précautions oratoires pour me préparer à voir ma fiancée rayonner de tous les feux de l’aurore, rayonna de joie lui-même quand je lui déclarai que j’aimais le rouge ; mais, hélas ! quand je sus le nom de la personne, je refusai net. C’était la fille de mademoiselle Irène, riche de cent mille livres de rente, fruit de ses petites économies, prélevées sur la fortune de MM. A., B., C : tu peux ajouter toutes les lettres de l’alphabet. Comprends-tu que mon oncle, un honnête homme, soumis aux lois de son pays, officier de la garde nationale, décoré, affilié à la société de Saint-Vincent de Paul, etc., veuille m’enrichir en me faisant épouser la fille d’une courtisane ? J’ai répondu que je voulais bien faire connaissance avec elle, et que, si elle me plaisait, je consentais à l’épouser à la condition que madame sa mère ne lui donnerait pas seulement une chemise. Là-dessus, mon oncle, qui n’entend pas de cette oreille et pour qui tout vice est purifié dès qu’il prend la forme d’argent monnayé, me demande si je me moque de lui et me menace d’une correction par trop paternelle. Il y avait longtemps que toutes nos discussions aboutissaient à des résultats qui menaçaient de prendre cette tournure funeste. J’étais forcé d’en rire ; ce rire l’exaspérait, et ce jour là je craignis pour une attaque d’apoplexie. En vérité, j’ai trop tardé à prendre le parti que je prends aujourd’hui, mais le voilà pris et sans retour, parce que je sens, à la joie de ma conscience, qu’il est bon. Non. il ne faut pas qu’un homme dé-