Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée

acte d’indépendance, de désintéressement et de fierté ! Voilà comme la destinée nous mène et nous trahit ! Ah ! si j’avais pu deviner, — je ne dis pas la suave beauté qui devait se développer chez cette petite fille, — mais la beauté morale de son âme, et tout ce que son sommeil accablé couvait de douleurs profondes, de dévouements sublimes et de bonté sympathique, je l’eusse prise dans mes bras, je l’eusse arrachée à ce vampire, je l’eusse sauvée, cachée, élevée comme ma fille, et aujourd’hui j’aurais un état, car j’aurais travaillé pour elle, et je pourrais lui dire : « Sois ma femme ! car, aussi vrai que je ne suis pas un Amadis et un don Quichotte, je suis un brave garçon qui met sa gloire à te protéger. Oublions ton indigne père et méprisons son indigne fortune ; car qui sait mieux que moi combien les enfants sont innocents des fautes de leur famille ? »

Ce grand fonds d’inconnu qui est dans la vie, et que nous appelons le hasard, en a ordonné autrement. Me voilà en face d’un avenir qui n’offre rien de solide, et presque au dépourvu dans le présent, car la maladie de mon ermite, la perte de mon temps, les remèdes et les petits adoucissements que, malgré lui et à son insu, j’ai apportés à sa misère, ont fort entamé ma réserve… Me voilà, dis-je, nullement découragé ni inquiet pour mon compte, mais réellement incapable de me charger d’une femme et de voir sans effroi arriver des enfants. J’ai passé à coté du bonheur sans le pressentir, et cette adorable compagne qui eût réalisé toutes les vagues aspirations de ma stérile jeunesse ne pourra trouver en moi l’appui de sa faiblesse et la consolation de son passé !

Mais je continue l’histoire de cette chère personne,