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qu’à la fin ma mère crut qu’il était mort. Elle n’avait pas été heureuse avec lui, il était emporté, inconstant dans ses entreprises et prodigue quand il avait de l’argent. Il avait mangé la petite dot qu’elle lui avait apportée, et, quand, mon frère et moi, nous lui faisions des questions, elle nous disait :

« — En vérité, mes enfants, je ne peux pas trop vous répondre. Votre père a tant couru et voyagé, que je ne le connais pas beaucoup. Il ne faut pourtant pas l’accuser d’oubli. Peut-être nous a-t-il envoyé des lettres et des secours qui n’arrivent pas.

» Ma mère, n’ayant plus rien pour vivre, avait emprunté les fonds nécessaires pour monter le premier établissement qui lui avait paru offrir des chances de succès dans notre pays ; nous habitions Rouen. Elle inspirait de la confiance ; elle était active et rangée. Elle monta un établissement de bains où elle fit promptement d’assez bonnes affaires pour s’acquitter et pour s’assurer un revenu honorable. Elle nous mit en pension et ne négligea rien pour nous faire bien élever.

» Voyant ma mère presque tous les jours et me sentant aimée par tout ce qui m’entourait, j’ai eu une enfance heureuse : mais, un jour, mon père reparut avec un navire, des trésors et des esclaves. Ce fut pour nous, enfants, une surprise, un éblouissement, un conte de fées, mais notre joie ne fut pas longue. Mon père était incompréhensible. Il nous aimait sans doute, mais il avait, sur l’autorité du père de famille, du mari, du maître et de l’homme riche, des idées si étranges, que nous en étions abasourdis. Il ne nous témoignait aucune affection, critiquait notre manière d’être, nous trouvait mal élevés dans nos pensions, et il nous signifia d’avoir à le suivre à Paris, où il vou-