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qu’il est calme ! n’est-il pas mort ? » Je vous ai entendu : alors, j’ai accepté la sentence en me disant : « Peut-être faut-il être ce qu’ils appellent mort, c’est-à-dire endormi pour un certain temps. Peut-être le paradis des gens humbles comme moi commence-t-il par un bon et long repos de la notion de la vie. Peut-être, à ceux qui ne sont pas bien pressés et qui ne doutent pas du tout, faut-il un ou deux siècles pour retrouver cette notion dans une société meilleure, dans un monde où la nature aura reconstitué sa beauté première, et les hommes la droiture native de leurs instincts, éclairée par le soleil de la science et de la poésie. Pourquoi non ? S’il faut mettre les choses au pis, pourquoi l’être que je suis ne se dissoudrait-il pas en une multitude d’êtres sans conscience du moi que je suis, pour se reconstituer lentement en un être qui serait encore moi, tout en étant un être meilleur que moi ? Qui sait ? et qu’importe, puisque tout est bien, ou doit devenir bien ? » Et, là-dessus, j’ai vu une chose que vous avez pu voir dans la réalité : au commencement du printemps comme en automne, il y a, sur nos collines, d’épaisses brumes gris de perle qui descendent jusqu’au niveau de la plaine, effaçant, avalant, pour ainsi dire, les rochers, les arbres et les villages. Quand cette nuée moelleuse est sur Vaubuisson, je la vois d’ici, et je la compare à un gros oiseau qui s’accroupit sur les demeures de l’homme comme une couveuse sur ses œufs. Tout bruit cesse alors, toute lumière s’éteint. Dans mon rêve, je me sentis pris sous la nuée, et je me dis en fermant les yeux : « La voilà, c’est la fin du jour, c’est la mort de l’homme ; elle est douce et maternelle comme le sein qui couvre les germes de la vie nouvelle sous le duvet de l’amour. »