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lons inégaux avec l’agilité surprenante dont il était doué, et courut aux remparts. Pour moi, caché dans l’ombre, je le laissai passer et ne le suivis pas. Un autre instinct que celui du carnage venait de s’emparer de moi. Un éclair de jalousie avait enflammé mes sens. La fumée de la poudre, la vue du sang, le bruit, le danger, et plusieurs rasades d’eau-de-vie avalées à la ronde pour entretenir l’activité, m’avaient singulièrement échauffé la tête. Je pris la clef dans ma ceinture, j’ouvris brusquement la porte, et, quand je reparus devant la captive, je n’étais plus le novice méfiant et grossier qu’elle avait réussi à ébranler ; j’étais le brigand farouche de la Roche-Mauprat, cent fois plus dangereux cette fois que la première. Elle s’élança vers moi avec impétuosité. J’ouvris mes bras pour la saisir ; mais, au lieu de s’en effrayer, elle s’y jeta en criant :

— Eh bien ! mon père ?

— Ton père, lui dis-je en l’embrassant, n’est pas là. Il n’est pas plus question de lui que de toi sur la brèche à l’heure qu’il est. Nous avons descendu une douzaine de gendarmes, et voilà tout. La victoire se déclare pour nous comme de coutume. Ainsi, ne t’inquiète plus de ton père ; moi, je ne m’inquiète plus des gens du roi. Vivons en paix et fêtons l’amour.

En parlant ainsi, je portai à mes lèvres un broc de vin qui restait sur la table. Mais elle me l’ôta des mains d’un air d’autorité qui m’enhardit.

— Ne buvez plus, me dit-elle ; songez à ce que vous dites. Est-ce vrai, ce que vous avez dit ? en répondez-vous sur l’honneur, sur l’âme de votre mère ?

— Tout cela est vrai, je le jure sur votre belle bouche toute rose, lui répondis-je en essayant de l’embrasser encore.

Mais elle recula avec terreur.