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Un soir que nous avions largement soupé, nous restâmes à table, continuant à boire et à converser, Dieu sait dans quels termes et sur quels sujets ! Il faisait un temps affreux, l’eau ruisselait sur le pavé de la salle par les fenêtres disjointes, l’orage ébranlait les vieux murs. Le vent de la nuit sifflait à travers les crevasses de la voûte et faisait ondoyer la flamme de nos torches de résine. On m’avait beaucoup raillé, pendant le repas, de ce qu’on appelait ma vertu ; on avait traité ma sauvagerie envers les femmes de continence, et c’était surtout à ce propos qu’on me poussait à mal par la mauvaise honte. Comme, tout en me défendant de ces moqueries grossières et en ripostant sur le même ton, j’avais bu énormément, ma farouche imagination s’était enflammée, et je me vantais d’être plus hardi et mieux venu, auprès de la première femme qu’on amènerait à la Roche-Mauprat, qu’aucun de mes oncles. Le défi fut accepté avec de grands éclats de rire. Les roulements de la foudre répondirent à cette gaieté infernale.

Tout à coup le cor sonna à la herse. Tout rentra dans le silence. C’était la fanfare dont les Mauprat se servaient entre eux pour s’appeler et se reconnaître. C’était mon oncle Laurent qui avait été absent tout le jour et qui demandait à rentrer. Nous avions tant de sujets de méfiance que nous étions nous-mêmes porte-clefs et guichetiers de notre forteresse. Jean se leva en agitant les clefs ; mais il resta immobile aussitôt pour écouter le cor, qui annonçait par une seconde fanfare qu’il amenait une prise, et qu’il fallait aller au-devant de lui. En un clin d’œil, tous les Mauprat furent à la herse avec des flambeaux, excepté moi, dont l’indifférence était profonde, et les jambes sérieusement avinées.

— Si c’est une femme, s’écria Antoine en sortant, je jure