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pratique de la résignation, il battait en brèche le pauvre curé ; et c’était à ces discussions, comme il me l’a raconté souvent dans ses dernières années, qu’il avait acquis ses connaissances en philosophie. Pour résister aux coups de bélier de la logique naturelle, le bon janséniste était forcé d’invoquer le témoignage de tous les Pères de l’Église et de les opposer, souvent même de les corroborer, avec la doctrine de tous les sages et savants de l’antiquité. Alors les yeux ronds de Patience grossissaient dans sa tête (c’était son expression), la parole expirait sur ses lèvres, et charmé d’apprendre sans se donner la peine d’étudier, il se faisait longuement expliquer la doctrine de ces grands hommes et raconter leur vie. En voyant son attention et son silence, l’adversaire triomphait ; mais, au moment où il croyait avoir convaincu cette âme rebelle, Patience, entendant sonner minuit à l’horloge du village, se levait, prenait congé de son hôte avec affection, et, reconduit par lui jusqu’au seuil du presbytère, le consternait avec quelque réflexion laconique et mordante qui confondait saint Jérôme et Platon, Eusèbe tout autant que Sénèque, Tertullien non moins qu’Aristote.

Le curé ne s’avouait pas trop la supériorité de cette intelligence inculte. Néanmoins il était tout étonné de passer tant de soirs d’hivers au coin de son feu avec ce paysan, sans éprouver ni ennui ni fatigue ; et il se demandait pourquoi le magister du village, et même le prieur du couvent, quoique sachant grec et latin, lui semblaient, l’un ennuyeux, l’autre erroné, dans tous leurs discours. Il connaissait toute la pureté des mœurs de Patience, et il s’expliquait l’ascendant de son esprit par le pouvoir et le charme que la vertu exerce et répand autour d’elle. Puis il s’accusait humblement, chaque soir, devant Dieu de n’avoir pas disputé avec son élève à un point de vue assez chrétien.