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ma main. Je suis ainsi fait ; ce que j’aime, je l’aime éternellement, dans le passé, dans le présent, dans l’avenir.

Les orages de la Révolution ne détruisirent point notre existence, et les passions qu’elle souleva ne troublèrent pas l’union de notre intérieur. Nous fîmes de grand cœur, et en le considérant comme un juste sacrifice, l’abandon d’une grande partie de nos biens aux lois de la République. L’abbé, effrayé du sang versé, renia parfois sa religion politique, quand les nécessités du temps dépassèrent la force de son âme. Il fut le girondin de la famille.

Edmée eut plus de courage sans avoir moins de sensibilité ; femme et compatissante, elle souffrit profondément des misères de tous les partis, elle pleura tous les malheurs de son siècle ; mais elle n’en méconnut jamais la grandeur saintement fanatique. Elle resta fidèle à ses théories d’égalité absolue. Au temps où les actes de la Montagne irritaient et désespéraient l’abbé, elle lui fit généreusement le sacrifice de ses élans patriotiques et eut la délicatesse de ne jamais prononcer devant lui certains noms qui le faisaient frémir, et qu’elle vénérait avec une sorte de persuasion que je n’ai jamais vue chez aucune femme.

Pour moi, je puis dire que mon éducation fut faite par elle ; pendant tout le cours de ma vie, je m’abandonnai entièrement à sa raison et à sa droiture. Quand le désir de jouer un rôle populaire vint tenter mon enthousiasme, elle m’arrêta en me représentant que mon nom paralyserait toute mon influence sur une classe qui se méfierait de moi et qui me croirait désireux de m’appuyer sur elle pour réhabiliter mon patriciat. Quand l’ennemi fut aux portes de la France, elle m’envoya servir en qualité de volontaire : quand la carrière militaire devint un moyen d’ambition et que la République fut anéantie, elle me rappela et me dit :