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peut comprendre et excuser. Je dis donc que je n’ai pas senti en moi-même que Bernard de Mauprat fût coupable ; mes oreilles seules le savaient ; ce n’était pas assez pour moi. Excusez-moi, messieurs, je suis juge, moi aussi. Enquérez-vous de moi ! dans mon village, on m’appelle le grand juge. Quand mes concitoyens me prient de prononcer sur une querelle de cabaret ou sur la limite d’un champ, je n’écoute pas tant leur sentiment que le mien. On a d’autres notions sur les gens qu’un fait tout court. Il y en a beaucoup d’autres qui servent à démontrer la vérité ou la fausseté du dernier qu’on leur impute. Ainsi, ne pouvant croire que Bernard fût un assassin, et ayant entendu témoigner à plus de dix personnes, que je regarde comme incapables de faux serment, qu’un moine fait en manière de Mauprat avait couru le pays ; ayant moi-même vu le dos et le froc de ce moine passer à Pouligny le matin de l’événement, j’ai voulu savoir s’il était dans la Varenne, et j’ai su qu’il y était encore ; c’est-à-dire qu’après l’avoir quittée, il y était revenu aux environs du jugement du mois dernier, et, qui plus est, qu’il avait accointance avec M. Jean de Mauprat. Quel est donc ce moine ? me disais-je ; pourquoi sa figure fait-elle peur à tous les habitants du pays ? Qu’est-ce qu’il fait dans la Varenne ? S’il est du couvent des Carmes, pourquoi n’en porte-t-il pas l’habit ? S’il est de l’ordre de M. Jean, pourquoi n’est-il pas logé avec lui aux Carmes ? S’il est quêteur, pourquoi, après avoir fait sa quête, ne va-t-il pas plus loin, plutôt que de revenir importuner les gens qui lui ont donné la veille ? S’il est trappiste et qu’il ne veuille pas rester aux Carmes comme l’autre, pourquoi ne retourne-t-il pas dans son couvent ? Qu’est-ce donc que ce moine vagabond ? et pourquoi M. Jean de Mauprat, qui a dit à plusieurs personnes ne pas le connaître, le connaît-il si bien, qu’ils déjeunent de temps en temps ensemble, dans un cabaret à