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avait deux bons médecins et une garde-malade fort dévouée. Mlle  Leblanc la soignait aussi, sous ce rapport, avec beaucoup de zèle ; mais cette fille dangereuse lui faisait souvent du mal par ses réflexions déplacées et ses interrogations indiscrètes. Arthur m’assura d’ailleurs que, si jamais Edmée m’avait cru coupable et s’était expliquée à cet égard, ce devait être dans une phase précédente de sa maladie ; car, depuis au moins quinze jours, elle était dans un état d’inertie complète. Elle sommeillait souvent, mais sans dormir tout à fait ; elle digérait quelques breuvages gélatineux et ne se plaignait jamais ; elle répondait par des signes nonchalants et toujours négatifs aux questions des médecins sur ses souffrances ; elle n’exprimait par aucun signe le souvenir des affections qui avaient rempli sa vie. Sa tendresse pour son père, ce sentiment si profond et si puissant en elle, n’était pourtant pas éteinte ; elle versait souvent des larmes abondantes, mais alors elle paraissait n’entendre aucun son ; c’était en vain qu’on essayait de lui faire comprendre que son père n’était pas mort, comme elle semblait croire. Elle repoussait d’un geste suppliant, non le bruit (il ne semblait pas frapper son oreille), mais le mouvement qui se faisait autour d’elle, et, cachant son visage dans ses mains, s’enfonçant dans son fauteuil et roidissant ses genoux jusque vers sa poitrine, elle semblait livrée à un désespoir sans remède. Cette muette douleur, qui ne se combattait plus elle-même et ne voulait plus être combattue ; cette grande volonté, qui avait été capable de dompter les plus violents orages et qui s’en allait à la dérive sur une mer morte et par un calme plat, était, selon Arthur, le spectacle le plus douloureux qu’il eût jamais contemplé. Edmée semblait vouloir avoir rompu avec la vie. Mlle  Leblanc, pour l’éprouver et pour l’émouvoir, s’était grossièrement ingéniée de lui dire que son père était mort ; elle