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de 77 à Paris, M. Bernard redevint jaloux, despote, et fit tant de menaces de tuer M. de La Marche que mademoiselle fut forcée de congédier celui-ci. Après cela, elle eut des scènes violentes avec Bernard, lui déclara qu’elle ne l’aimait pas et ne l’aimerait jamais. De colère et de chagrin, car on ne peut pas nier qu’il n’en fût amoureux comme un tigre, il partit pour l’Amérique, et, pendant les six ans qu’il y passa, ses lettres le montrèrent fort amendé. Quand il revint, mademoiselle avait pris son parti d’être vieille fille, et elle était redevenue très tranquille. M. Bernard paraissait devenu, de son côté, assez bon enfant. Mais, à force de la voir tous les jours et d’être sans cesse appuyé sur le dos de son fauteuil, ou de lui dévider des écheveaux de laine en lui parlant tout bas pendant que son père dormait, voilà qu’il en est redevenu si amoureux que la tête lui en a parti. Je ne veux pas trop l’accuser, le pauvre malheureux, et crois que sa place est aux Petites-Maisons plutôt qu’à la potence. Il criait et rugissait toute la nuit, et lui écrivait des lettres si bêtes qu’elle les lisait en souriant et les mettait dans sa poche sans y répondre. Au reste, en voici une que j’ai trouvée sur elle quand je l’ai déshabillée après le malheureux événement ; elle a été percée par une balle et tachée de sang, mais on peut encore en lire assez pour voir que monsieur avait souvent l’intention de tuer mademoiselle.

Elle déposa sur le bureau un papier demi-brûlé, demi-sanglant, qui produisit sur les assistants un mouvement d’horreur, sincère chez quelques-uns, affecté chez beaucoup d’autres.

Avant qu’on le lût, elle acheva sa déposition, et la termina par des assertions qui me troublèrent profondément ; car je ne distinguais plus la limite entre la réalité et la perfidie.