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fatalité. On ne pouvait, disait-on, se représenter le hasard comme un être de raison, armé d’un fusil, attendant Edmée à point nommé à la tour Gazeau pour l’assassiner au moment où j’aurais le dos tourné pendant cinq minutes. On voulait que je l’eusse entraînée, soit par artifice, soit par force, en ce lieu écarté, pour lui faire violence et lui donner la mort, soit par vengeance de n’y avoir pas réussi, soit par crainte d’être découvert et châtié de ce crime.

On fit entendre tous les témoins à charge et à décharge. À vrai dire, il n’y eut que Marcasse parmi ces derniers qu’on pût réellement considérer comme tel. Tous les autres affirmaient seulement qu’un moine, ayant la ressemblance des Mauprat, avait erré dans la Varenne à l’époque fatale, et qu’il avait même paru se cacher le soir qui suivit l’événement. On ne l’avait pas revu depuis. Ces dépositions, que je n’avais pas provoquées, et que je déclarai n’avoir pas personnellement invoquées, me causèrent beaucoup d’étonnement ; car je vis figurer parmi ces témoins les plus honnêtes gens du pays. Mais elles n’eurent de poids qu’aux yeux de M. E…, le conseiller qui s’intéressait réellement à la vérité. Il éleva la voix pour demander comment il se faisait que M. Jean de Mauprat n’eût pas été sommé de se présenter pour être confronté avec ces témoins, puisque d’ailleurs il s’était donné la peine de faire constater son alibi par des actes. Cette objection ne fut accueillie que par un murmure d’indignation. Les gens qui ne regardaient pas Jean Mauprat comme un saint n’étaient pourtant pas en petit nombre ; mais ils étaient froids à mon égard et n’étaient venus là que pour assister à un spectacle.

L’enthousiasme des cagots fut au comble lorsque le trappiste, sortant tout à coup de la foule et baissant son capuchon d’une manière théâtrale, s’approcha hardiment de la barre en disant qu’il était un misérable pécheur digne