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XXII


Comment vous expliquerai-je ce qui se passa en moi à l’aspect inattendu de la tour Gazeau ? Je ne l’avais vue que deux fois dans ma vie ; deux fois elle avait été le témoin des scènes les plus douloureusement, émouvantes, et ces scènes n’étaient rien encore auprès de ce qui m’était destiné à cette troisième rencontre ; il est des lieux maudits !

Il me sembla voir encore, sur cette porte demi-brisée, le sang des deux Mauprat qui l’avait arrosée. Leur criminelle et tragique destinée me fit rougir des instincts de violence que je sentais en moi-même. J’eus horreur de ce que j’éprouvais, et je compris pourquoi Edmée ne m’aimait pas. Mais, comme s’il y avait eu dans ce déplorable sang des éléments de sympathique fatalité, je sentais la force effrénée de mes passions grandir en raison de l’effort de ma volonté pour les vaincre. J’avais terrassé toutes les autres intempérances ; il n’en restait en moi presque plus de traces. J’étais sobre, j’étais, sinon doux et patient, du moins affectueux et sensible ; je concevais au plus haut point les lois de l’honneur et le respect de la dignité d’autrui ; mais l’amour était le plus redoutable de mes ennemis, car il se rattachait à tout ce que j’avais acquis de moralité et de délicatesse ; c’était le lien entre l’homme ancien et l’homme nouveau, lien indissoluble et dont le milieu m’était presque impossible à trouver.