Page:Sand - Mauprat.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Puisqu’il y a un chemin, il y a un gué, lui répondis-je. Allons ! allons !

J’étais possédé de la rage de courir encore ; j’avais une idée, celle de m’enfoncer de plus en plus dans le bois avec elle ; mais cette idée était couverte d’un voile, et, lorsque j’essayais de le soulever, je n’avais plus d’autre perception que celle des battements impétueux de ma poitrine et de mes tempes.

Edmée fit un geste d’impatience.

— Ces bois sont maudits ; je m’y égare toujours, dit-elle.

Et sans doute elle pensa au jour funeste où elle avait été emportée loin de la chasse et conduite à la Roche-Mauprat ; car j’y pensai aussi, et les images qui s’offrirent à mon cerveau me causèrent une sorte de vertige. Je suivis machinalement Edmée vers la rivière. Tout à coup je la vis à l’autre bord. Je fus pris de fureur en voyant que son cheval était plus agile et plus courageux que le mien ; car celui-ci fit, pour se risquer dans le gué, qui était assez mauvais, des difficultés durant lesquelles Edmée prit encore sur moi de l’avance. Je mis les flancs de mon cheval en sang, et, quand, après avoir failli être renversé plusieurs fois, je me trouvai sur la rive, je me lançai à la poursuite d’Edmée avec une colère aveugle. Je l’atteignis, et je pris la bride de sa jument en m’écriant :

— Arrêtez-vous, Edmée, je le veux ! Vous n’irez pas plus loin.

En même temps, je secouai si rudement les rênes que son cheval se révolta. Elle perdit l’équilibre, et pour ne pas tomber, elle sauta légèrement entre nos deux chevaux, au risque d’être blessée. Je fus à terre presque aussitôt qu’elle, et je repoussai vivement les chevaux. Celui d’Edmée, qui était fort doux, s’arrêta et se mit à brouter.