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ments les plus nuls, agir à tout prix, telle était l’idée fixe des prieurs et des abbés.

Le prieur des carmes chaussés que j’allais voir était la vivante image de cette impuissance agitée. Cloué par la goutte dans son grand fauteuil, il m’offrit un étrange pendant à la vénérable figure du chevalier, pâle et immobile comme lui, mais noble et patriarcal dans sa mélancolie. Le prieur était court, gras et plein de pétulance. La partie supérieure de son corps était libre, sa tête se tournait avec vivacité à droite et à gauche ; ses bras s’agitaient pour donner des ordres ; sa parole était brève, et son organe voilé semblait donner un sens mystérieux aux moindres choses. En un mot, la moitié de sa personne paraissait lutter sans cesse pour entraîner l’autre, comme cet homme enchanté des contes arabes, qui cachait sous sa robe son corps de marbre jusqu’à la ceinture.

Il me reçut avec un empressement exagéré, s’irrita de ce qu’on ne m’apportait pas un siège assez vite, étendit sa grosse main flasque pour attirer ce siège tout près du sien, fit signe à un grand satyre barbu, qu’il appelait son frère trésorier, de sortir ; puis, après m’avoir accablé de questions sur mon voyage, sur mon retour, sur ma santé, sur ma famille, et dardant sur moi de petits yeux clairs et mobiles qui soulevaient les plis des paupières, grossies et affaissées par l’intempérance, il entra en matière.

— Je sais, mon cher enfant, dit-il, le sujet qui vous amène : vous voulez rendre vos devoirs à votre saint parent, à ce trappiste, modèle d’édification, que Dieu nous ramène pour servir d’exemple au monde et faire éclater le miracle de la grâce.

— Monsieur le prieur, lui répondis-je, je ne suis pas assez bon chrétien pour apprécier le miracle dont vous parlez. Que les âmes dévotes en rendent grâces au ciel !