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— Jamais que je sache, répondit l’abbé tout interdit ; mais où voulez-vous donc en venir ?

— À vous dire, mon ami, que vous avez fait là une jolie trouvaille, et que ce bon et vénérable trappiste à qui vous trouvez tant de grâce, de candeur, de componction et d’esprit, n’est autre que Jean de Mauprat le coupe-jarret.

— Vous êtes fou ! s’écria l’abbé en reculant de trois pas. Jean Mauprat est mort il y a longtemps.

— Jean Mauprat n’est pas mort, ni Antoine Mauprat non plus peut-être, et je suis moins surpris que vous parce que j’ai déjà rencontré un de ces deux revenants. Qu’il se soit fait moine et qu’il pleure ses péchés, cela est fort possible ; mais qu’il se soit déguisé pour venir poursuivre ici quelque mauvais dessein, c’est ce qui n’est pas impossible non plus, et je vous engage à vous tenir sur vos gardes…

L’abbé fut effrayé au point de ne vouloir plus aller au rendez-vous. Je lui démontrai qu’il était nécessaire de savoir où voulait en venir le vieux pécheur. Mais, comme je connaissais la faiblesse de l’abbé, comme je craignais que mon oncle Jean ne réussît à l’engager dans quelque fausse démarche et à s’emparer de sa conscience par des aveux mensongers, je pris le parti de me glisser dans le taillis de manière à tout voir et tout entendre.

Mais les choses ne se passèrent pas comme je l’aurais cru. Le trappiste, au lieu de jouer au plus fin, dévoila sur-le-champ à l’abbé son véritable nom. Il lui déclara que, touché de repentir, et ne croyant pas que sa conscience lui permît d’en éviter le châtiment à l’abri du froc (car il était réellement trappiste depuis plusieurs années), il venait se mettre entre les mains de la justice, afin d’expier d’une manière éclatante les crimes dont il était souillé. Cet homme,