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quelque chose qui rappelle à l’homme la prochaine dispersion des éléments de son être.

Nous avions traversé les bois et les bruyères, mon compagnon et moi, sans nous dire une seule parole ; nous avions fait un long détour pour éviter la tour Gazeau, que je ne me sentais pas la force de revoir. Le soleil se couchait dans des voiles gris quand nous franchîmes la herse de la Roche-Mauprat. Cette herse était brisée ; le pont ne se levait plus et ne donnait plus passage qu’à de paisibles troupeaux et à leurs insouciants pâtours. Les fossés étaient à demi comblés, et déjà l’oseraie bleuâtre étendait ses rameaux flexibles sur les basses eaux ; l’ortie croissait au pied des tours écroulées, et les traces du feu semblaient encore fraîches sur les murs. Les bâtiments de ferme étaient tous renouvelés, et la basse-cour, pleine de bétail, de volailles, d’enfants, de chiens de berger et d’instruments aratoires, contrastait avec cette sombre enceinte, où je croyais encore voir monter la flamme rouge des assaillants et couler le sang noir des Mauprat.

Je fus reçu avec la cordialité tranquille et un peu froide des paysans du Berry. On n’essaya pas de me plaire, mais on ne me laissa manquer de rien. Je fus installé dans le seul des anciens bâtiments qui n’eût pas été endommagé lors du siège du donjon, ou abandonné depuis cette époque à l’action du temps. C’était un corps de logis dont l’architecture massive remontait au xe siècle ; la porte était plus petite que les fenêtres, et les fenêtres elles-mêmes donnaient si peu de jour qu’il fallut allumer des flambeaux pour y pénétrer, quoique le soleil fût à peine couché. Ce bâtiment avait été restauré provisoirement pour servir de pied-à-terre au nouveau seigneur ou à ses mandataires. Mon oncle Hubert y était venu souvent surveiller mes intérêts tant que ses forces le lui avaient permis, et on me conduisit à