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Il y avait loin de ces espérances gigantesques au métier de valet de chambre de M. de La Marche ; mais Marcasse n’avait pas d’autre chemin pour arriver à son but. Les cadres du corps d’armée destiné pour l’Amérique étaient remplis depuis longtemps, et ce n’était qu’en qualité de passager attaché à l’expédition qu’il pouvait prendre place sur un bâtiment marchand à la suite de l’escadre. Il avait questionné l’abbé sur tout cela sans lui dire son projet. Son départ fut un coup de théâtre pour tous les habitants de la Varenne.

À peine eut-il mis pied sur le rivage de l’Union qu’il sentit un besoin irrésistible de prendre son grand chapeau et sa grande épée, et d’aller tout seul devant lui à travers bois, comme il avait coutume de faire dans son pays ; mais sa conscience lui défendait de quitter son maître après avoir contracté l’engagement de le servir. Il avait compté sur la fortune, et la fortune le seconda. La guerre étant beaucoup plus meurtrière et plus active qu’on ne s’y attendait, M. de La Marche craignit à tort d’être embarrassé par la santé débile de son maigre écuyer. Pressentant d’ailleurs son désir de liberté, il lui offrit une somme d’argent et des lettres de recommandation pour qu’il pût se joindre comme volontaire aux troupes américaines. Marcasse, sachant la fortune de son maître, refusa l’argent, n’accepta que les recommandations et partit léger comme la plus agile des belettes qu’il eût jamais occises.

Son intention était de se rendre à Philadelphie ; mais, un hasard inutile à raconter lui ayant fait savoir que j’étais dans le Sud, comptant avec raison trouver en moi un conseil et un appui, il était venu me rejoindre, seul, à pied, à travers des contrées inconnues, presque désertes et souvent pleines de périls de toute espèce. Son habit seul avait souffert ; sa figure jaune n’avait pas changé de nuance, et