Page:Sand - Mauprat.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je sentis dès ce moment mon amour descendre des orages du cerveau dans les saines régions du cœur, et le dévouement ne me parut plus une énigme. Je résolus de faire dès le lendemain acte de soumission et de tendresse. Je rentrai fort tard, accablé de lassitude, mourant de faim, brisé d’émotions. J’entrai dans l’office, je pris un morceau de pain, et je le mangeai trempé de mes larmes. J’étais appuyé contre le poêle éteint, à la lueur mourante d’une lampe épuisée ; Edmée entra sans me voir, prit quelques cerises dans le bahut, et s’approcha lentement du poêle ; elle était pâle et absorbée. En me voyant, elle jeta un cri et laissa tomber ses cerises.

— Edmée, lui dis-je, je vous supplie de n’avoir plus jamais peur de moi ; c’est tout ce que je puis vous dire, car je ne sais pas m’expliquer ; et pourtant j’avais résolu de vous dire bien des choses.

— Vous me direz cela une autre fois, mon bon cousin, me répondit-elle en essayant de me sourire.

Mais elle ne pouvait dissimuler la peur qu’elle éprouvait en se trouvant seule avec moi.

Je n’essayai pas de la retenir ; je ressentais vivement la douleur et l’humiliation de sa méfiance, et je n’avais pas le droit de m’en plaindre ; cependant jamais homme n’avait eu autant besoin d’être encouragé.

Au moment où elle quittait l’appartement, mon cœur se brisa, et je fondis en larmes, comme la veille à la fenêtre de la chapelle. Edmée s’arrêta sur le seuil, hésita un instant ; puis, entraînée par la bonté de son cœur et surmontant ses craintes, elle revint vers moi, et, s’arrêtant à quelques pas de ma chaise :

— Bernard, vous êtes malheureux, me dit-elle ; est-ce donc ma faute ?

Je ne pus répondre, j’étais honteux de mes larmes ;