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me sembla si belle, avec sa collerette blanche frangée de pourpre et son calice d’or plein des diamants de la rosée, que je la cueillis et la couvris de baisers, en m’écriant, dans une sorte d’égarement délicieux :

— C’est toi, Edmée ! oui, c’est toi ! te voilà ! tu ne me fuis plus !

Mais quelle fut ma confusion lorsqu’en me relevant je vis que j’avais un témoin de ma folie ! Patience était debout devant moi.

Je fus si mécontent d’avoir été surpris dans un tel accès d’extravagance que, par un reste d’habitude de coupe-jarret, je cherchai mon couteau à ma ceinture ; mais je n’avais plus ni ceinture ni couteau. Mon gilet de soie à poches me fit souvenir que j’étais condamné à n’égorger plus personne. Patience sourit.

— Eh bien ! eh bien ! qu’y a-t-il ? dit le solitaire avec calme et douceur, croyez-vous que je ne sache pas bien ce qui en est ? Je ne suis pas si simple que je ne comprenne ; je ne suis pas si vieux que je ne voie clair. Qui est-ce qui secoue les branches de mon if toutes les fois que la fille sainte est assise à ma porte ? Qui est-ce qui nous suit comme un jeune loup, à pas comptés, sous le taillis, quand je reconduis la belle enfant chez son père ? Et quel mal y a-t-il à cela ? Vous êtes jeunes tous deux, vous êtes beaux tous deux, vous êtes parents, et, si vous vouliez, vous seriez un digne et honnête homme, comme elle est une digne et honnête fille.

Tout mon courroux était tombé en écoutant Patience parler d’Edmée. J’avais un si grand besoin de m’entretenir d’elle, que j’en aurais entendu dire du mal pour le seul plaisir d’entendre prononcer son nom. Je continuai ma promenade côte à côte avec Patience. Le vieillard marchait pieds nus dans la rosée. Il est vrai que ses pieds, ayant