Page:Sand - Mauprat.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faut que je vous quitte, Edmée, et que j’aille vivre au milieu des bois. Je ne puis pas rester ici.

— Pourquoi souffrez-vous tant ? Expliquez-vous, Bernard ; voici l’occasion de vous expliquer.

— Oui, avec un mur entre nous. Je conçois que vous n’ayez pas peur de moi ici.

— Et pourtant je ne vous témoigne que de l’intérêt, il me semble, et n’ai-je pas été aussi affectueuse il y a une heure, lorsqu’il n’y avait pas un mur entre nous ?

— Je crois que vous n’êtes pas craintive, Edmée, parce que vous avez toujours la ressource d’éviter les gens ou de les attraper avec de belles paroles. Ah ! on m’avait bien dit que toutes les femmes sont menteuses et qu’il n’en faut aimer aucune.

— Qui est-ce qui vous disait cela ? votre oncle Jean, ou votre oncle Gaucher, ou votre grand-père Tristan ?

— Raillez, raillez-moi tant que vous voudrez ! Ce n’est pas ma faute si j’ai été élevé par eux. Mais ils pouvaient dire parfois quelque chose de vrai.

— Bernard, voulez-vous que je vous dise pourquoi ils croyaient les femmes menteuses ?

— Dites.

— C’est qu’ils employaient la violence et la tyrannie avec des êtres plus faibles qu’eux. Toutes les fois qu’on se fait craindre on risque d’être trompé. Lorsque, dans votre enfance, Jean vous frappait, n’avez-vous jamais évité ses brutales corrections en déguisant vos petites fautes ?

— C’est vrai : c’était ma seule ressource.

— La ruse est donc, sinon le droit, du moins la ressource des opprimés. Ne le sentez-vous pas ?

— Je sens que je vous aime, et qu’il n’y a pas là de motif pour que vous me trompiez.

— Aussi qui vous dit que je vous trompe ?