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fûmes quittes pour un échange de regards malveillants. En sortant de table, elle me dit tout bas, très vite et d’un ton impérieux :

— Corrigez-vous de boire, et apprenez tout ce que l’abbé vous enseignera.

Cet ordre et ce ton d’autorité, loin de me donner de l’espérance, me parurent si révoltants que toute ma timidité se dissipa en un instant. J’attendis l’heure où elle montait à sa chambre, et je sortis un peu avant elle pour aller l’attendre sur l’escalier.

— Croyez-vous, lui dis-je, que je sois dupe de vos mensonges, et que je ne m’aperçoive pas très bien, depuis un mois que je suis ici sans que vous m’adressiez la parole, que vous m’avez berné comme un sot ? Vous m’avez menti, et, aujourd’hui, vous me méprisez, parce que j’ai eu l’honnêteté de croire à votre parole.

— Bernard, me dit-elle d’un ton froid, ce n’est pas ici le lieu et l’heure de nous expliquer.

— Oh ! je sais bien, repris-je, que ce ne sera jamais le lieu ni l’heure selon vous ; mais je saurai les trouver, n’en doutez pas. Vous avez dit que vous m’aimiez ; vous m’avez jeté les bras au cou, et vous m’avez dit, en m’embrassant, ici, je sens encore vos lèvres sur ma joue : « Sauve-moi, et je jure par l’Évangile, par l’honneur, par le souvenir de ma mère et de la tienne, que je t’appartiendrai. » Je sais bien que vous avez dit tout cela parce que vous aviez peur de ma force ; et, ici, je sais bien que vous me fuyez parce que vous avez peur de mon droit. Mais vous n’y gagnerez rien ; je jure que vous ne vous jouerez pas longtemps de moi.

— Je ne vous appartiendrai jamais, répondit-elle avec une froideur de plus en plus glaciale, si vous ne changez pas de langage, de manières et de sentiments. Tel que vous