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d’intérêt, me serra la main à plusieurs reprises, me demanda mon amitié, s’écria dix fois qu’il donnerait sa vie pour moi, et je ne sais combien d’autres protestations que je n’entendis guère ; car j’avais un torrent dans les oreilles tandis qu’il me parlait, et, si j’avais eu mon couteau de chasse, je crois que je me serais jeté sur lui. Mes manières farouches et mes regards sombres l’étonnèrent beaucoup ; mais, l’abbé lui ayant dit que j’avais l’esprit frappé des événements terribles advenus dans ma famille, il redoubla ses protestations, et me quitta de la manière la plus affectueuse et la plus courtoise.

Cette politesse que je trouvais dans tout le monde, depuis le maître de la maison jusqu’au dernier des serviteurs, me causait un malaise inouï, bien qu’elle me frappât d’admiration ; car, n’eût-elle pas été inspirée par la bienveillance qu’on me portait, il m’eût été impossible de comprendre qu’elle pouvait être une chose bien distincte de la bonté. Elle ressemblait si peu à la façon de gasconne et railleuse des Mauprat, qu’elle était pour moi comme une langue tout à fait nouvelle que je comprenais, mais que je ne pouvais parler.

Je retrouvai pourtant la faculté de répondre, lorsque l’abbé m’ayant annoncé qu’il était chargé de mon éducation, m’interrogea pour savoir où j’en étais. Mon ignorance était tellement au delà de tout ce qu’il eût pu imaginer que j’eus honte de la lui révéler, et, ma fierté sauvage reprenant le dessus, je lui déclarai que j’étais gentilhomme et que je n’avais nulle envie de devenir clerc. Il ne me répondit que par un éclat de rire qui m’offensa beaucoup. Il me tapa doucement sur l’épaule d’un air d’amitié, en disant que je changerais d’avis avec le temps, mais que j’étais un drôle de corps. J’étais pourpre de colère quand le chevalier entra. L’abbé lui