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la famille, n’est-ce pas, vous le voulez ? Moi, je le veux ; je me mettrai à vos genoux pour obtenir votre confiance, et je l’obtiendrai, car la Providence vous destinait à être mon fils. Ah ! j’avais rêvé jadis une adoption plus complète. Si, à ma seconde tentative, on vous eût accordé à ma tendresse, vous eussiez été élevé avec ma fille, et vous seriez certainement devenu son époux. Mais Dieu ne l’a pas voulu. Il faut que vous commenciez votre éducation, et la sienne s’achève. Elle est d’âge à être établie, et, d’ailleurs, elle a fait son choix ; elle aime M. de La Marche, qu’elle est à la veille d’épouser ; elle vous l’a dit.

Je balbutiai quelques paroles confuses. Les caresses et les paroles généreuses de ce vieillard respectable m’avaient vivement ému, et je sentais comme une nouvelle nature se réveiller en moi. Mais, lorsqu’il prononça le nom de son futur gendre, tous mes instincts sauvages se réveillèrent, et je sentis qu’aucun principe de loyauté sociale ne me ferait renoncer à la possession de celle que je regardais comme ma proie. Je pâlissais, je rougissais, je suffoquais. Nous fûmes heureusement interrompus par l’abbé Aubert (le curé janséniste) qui venait s’informer des suites de ma chute. Alors seulement le chevalier sut que j’étais blessé, circonstance qu’il n’avait pas eu le loisir d’apprendre dans l’agitation de tant d’événements plus graves. Il envoya chercher son médecin, et je fus entouré de soins affectueux qui me parurent assez puérils, et auxquels je me soumis pourtant par un instinct de reconnaissance.

Je n’avais pas osé demander au chevalier des nouvelles de sa fille. Je fus plus hardi avec l’abbé. Il m’apprit que la prolongation et l’agitation de son sommeil donnaient quelque inquiétude ; et le médecin, étant revenu le soir pour me faire un nouveau pansement, me dit qu’elle avait beaucoup de fièvre, et qu’il craignait pour elle une maladie grave.