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chevalier. Il était pieux, équitable, plein de charité ; mais, chez lui, comme chez la plupart des gentilshommes, les préceptes de l’humilité chrétienne venaient échouer devant l’orgueil du rang. Il eût volontiers fait asseoir un pauvre à sa table, et, le vendredi saint, il lavait les pieds à douze mendiants ; mais il n’en était pas moins attaché à tous les préjugés de notre caste. Il trouvait ses cousins beaucoup plus coupables d’avoir dérogé à leur dignité d’homme, étant gentilshommes, que s’ils eussent été plébéiens. Dans cette hypothèse, selon lui, leurs crimes eussent été de moitié moins graves. J’ai partagé longtemps cette conviction ; elle était dans mon sang, si je puis m’exprimer ainsi. Je ne l’ai perdue qu’à la suite de rudes leçons de ma destinée.

Il me confirma ensuite ce que sa fille m’avait dit. Il avait désiré vivement être chargé de mon éducation dès ma naissance ; mais son frère Tristan s’y était opposé avec acharnement. Ici, le front du chevalier se rembrunit.

— Vous ne savez pas, dit-il, combien cette velléité de ma part a eu des suites funestes pour moi et pour vous aussi. Mais ceci doit rester enveloppé dans le mystère… mystère affreux, sang des Atrides !…

Il me prit la main et ajouta d’un air accablé :

— Bernard, nous sommes victimes tous deux d’une famille atroce. Ce n’est pas le moment de récriminer contre ceux qui paraissent à cette heure devant le redoutable tribunal de Dieu ; mais ils m’ont fait un mal irréparable, ils m’ont brisé le cœur… Celui qu’ils vous ont fait sera réparé, j’en jure par la mémoire de votre mère. Ils vous ont privé d’éducation, ils vous ont associé à leurs brigandages ; mais votre âme est restée grande et pure comme était celle de l’ange qui vous donna le jour. Vous réparerez les erreurs involontaires de votre enfance ; vous recevrez une éducation conforme à votre rang ; vous relèverez l’honneur de