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— Tu doutes qu’elle soit intelligente, voilà je te trouve bête, moi, permets-moi de te le dire ! Je sais bien que je ne peux pas être un juge pour toi et que tu dois te dire que je ne m’y connais pas. Je sais aussi qu’il est difficile de juger l’esprit d’une personne qui ne veut pas montrer celui qu’elle a ; mais, quand on a envie d’aimer quelqu’un, on cherche, et, quand on aime, on devine. Si tu aimais…

Pierre baisa la main de sa mère avec une émotion qu’il réprima aussitôt. Il avait failli lui dire que, depuis quelques jours, il était en proie à la tentation d’aimer, et que peut-être il aimait déjà. Il se contint. S’il avouait sa souffrance, elle serait trop vivement partagée par sa mère, et celle-ci le pousserait à une lutte dans laquelle il n’osait pas croire qu’il pût triompher.

— Nous reparlerons de tout cela après-demain, lui dit-il. Voyons d’abord comment le Gaucher prendra. Voici qu’il est tard, il faut dormir. Ne te tourmente pas, et sois sûre que je suis trop heureux avec toi pour beaucoup désirer d’être mieux.

Rentré dans sa chambre, il résolut de décharger son cœur, et il ouvrit son carnet. À la dernière page de son monologue de la veille, il trouva une petite pensée sauvage qu’il ne se souvint pas d’y avoir mise, mais qui le fit rêver.

— On devrait, se disait-il, faire un herbier de souvenirs. Une fleur, une feuille, un brin de mousse, prendraient la valeur d’une relique, si ces cueillettes vous rappelaient un événement de la vie intérieure, une émotion du cœur ou un effort de la volonté. On se rappelle les dangers ou les fatigues de certaines conquêtes botaniques. On revoit les sites grandioses ou charmants qui vous ont vivement frappé ; mais c’est toujours le spectacle du monde extérieur qui est évoqué par ces vestiges ; l’histoire de l’âme jouerait bien un autre rôle…

En ce moment, Pierre entendit marcher sur le bois retentissant des corridors et des escaliers du chalet ;