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XIV

Philippe Gaucher eut la mauvaise fortune de déplaire souverainement à madame André. C’était pourtant un bon et honnête garçon, le cœur sur la main, l’âme ouverte comme sa physionomie ; mais madame André ne voulait pas qu’un homme se permît d’être plus beau que son fils, qui n’était cependant pas ce qu’on appelle en province un bel homme. Il n’avait ni larges épaules, ni barbe noire, ni teint coloré, ni poitrine bombée. Il était intéressant, intelligent et modeste ; sa figure, comme sa personne tout entière, respirait la distinction d’une nature de choix. Aussi sa mère, qui n’avait jamais vu le monde et qui n’eût su définir en quoi la distinction consiste, avait-elle un critérium certain dans ses moyens de comparaison. Elle fut choquée d’une certaine vulgarité qui filtrait pour ainsi dire à travers toutes les paroles, tous les gestes, toutes les attitudes de Philippe, et elle en conclut que ses idées et ses actions étaient les conséquences de son type. Elle ne manquait pas de cet esprit naturel et gouailleur qui est propre aux habitants du centre, aux femmes particulièrement. Elle le railla donc finement pendant tout le dîner, sans qu’il daignât s’en apercevoir. Il est vrai que, les devoirs de l’hospitalité passant chez elle avant tout, elle lui avait fait fort bon accueil et l’accablait de petits soins.

Philippe ayant appris que les André dînaient le lendemain chez mademoiselle Chevreuse et qu’on saisirait l’occasion pour le lui présenter, trouva ses affaires plus avancées qu’il n’y comptait, et ne manqua pas de dire qu’il avait une étoile propice tout au beau milieu du ciel.