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n’hésita pas à reconnaître le prétendant. Aucun autre habitant du pays n’eût eu cette audace et cette galanterie. Elle rougit un peu, puis se calma aussitôt et lui dit avec un faible sourire, sans accepter la branche fleurie :

— Merci, monsieur, ce n’est pas pour moi que je la voulais ; c’était pour mon cheval, qui en est friand.

— Eh bien, répondit l’artiste sans se déconcerter, je l’offre à votre cheval, qui voudra bien ne pas me la refuser.

Et il tendit le chèvrefeuille à Suzon, qui le prit entre ses dents sans cérémonie.

Philippe s’était découvert en faisant le grand salut, qui consiste à lever le chapeau très-haut et à le tenir au-dessus de la tête comme quand on acclame un souverain ou un personnage populaire. Marianne avait repris les rênes courtes dans sa main, elle fit un léger salut sans regarder Philippe, et, poussant dans le fossé Suzon, qui y entra jusqu’aux genoux, elle dépassa lestement et adroitement les grands moyeux de la charrette, les grandes cornes des bœufs, et disparut au galop dans le chemin tournant.

Pierre sut gré à Marianne de cette sortie bien exécutée. Le moindre accident eût mis d’emblée Philippe au cœur de la situation.

— Eh bien, dit-il à l’artiste en dissimulant un rire ironique, vous l’avez vue à votre aise ?

— Charmante ! répondit Philippe, la distinction même, de l’esprit, de l’aplomb, de la coquetterie aussi ! Une vraie femme enfin ! Quel âge a-t-elle donc ? Mon père dit qu’elle est plus âgée que moi ; c’était une plaisanterie, elle a l’air d’une pensionnaire.

— Elle a vingt-cinq ans.

— Pas possible !

— Je vous le jure. Elle ne voudrait pas que l’on cachât son âge.

— Eh bien, ça m’est égal, on n’a que l’âge qu’on paraît avoir. Moi, barbu déjà comme un Turc, on me